Diable ou satan
Le satan
Le personnage biblique du satan a une histoire mouvementée. Son nom en témoigne : nous avons deux mots français pour le dire, satan et diable. Avec le temps, la perception de son rôle a considérablement changé.

Dans l'Ancien Testament, en hébreu, le mot satan désigne d'ordinaire l'"ennemi" ou l'"adversaire", au sens le plus courant des termes. C'est l'ennemi au combat (1er livre de Samuel chap 29 verset 4) ou mon voisin qui se tourne contre moi. Dans 3 textes seulement est-il considéré comme un personnage dont le nom indique la fonction, le satan. Ainsi, dans le prologue du livre de Job (1-2), sur le modèle des agents de renseignements dont aimaient se servir les officiels de l'empire perse, il fait partie de la cour céleste et est chargé de faire rapport à Yhwh (Dieu) sur la conduite des humains. Pour exercer sa fonction, il dispose de pouvoirs étendus : il peut provoquer des catastrophes naturelles, des pillages, la maladie ou la mort. Tous les moyens sont bons pour éprouver le coeur humain. ... faire la vérité sur eux, les accuser quand ils ont mal agit, les provoquer même pour vérifier leur fidélité. ...

Dans le Nouveau Testament, Luc est celui qui permet le mieux de voir les différentes traditions qui circulaient sur le personnage. Le satan se rencontre 5 fois chez lui (10,18 ; 11,18 ; 13,16 ; 22,3.31). La première et la dernière  occurences ne manque pas d'intérêt. D'abord, en entendant les 72 disciples rapporter qu'ils avaient eu raison des démons, Jésus réagit en ces mots :

Je voyais l'adversaire (satanas) du ciel comme un éclair. (10,18)

Dans ce texte, le satan joue le même rôle que dans le prologue de Job ; il est au ciel, il fait partie de la cour céleste et il est défini comme l'accusateur des humains auprès de Dieu. La dernière mention du satan dans Luc exprime d'ailleurs très bien cette fonction :

Simon, Simon! L'adversaire vous réclame pour vous passer au crible comme au grain. Moi, j'ai prié pour toi afin que tu ne perdes pas confiance (22,31)

Ces deux citations permettent de voir jusqu'à quel point le rôle du satan est perçu, d'en bas, comme une menace. Sa perspicacité sans faille et sa capacité  de percer l'intimité des humains en fait un "adversaire" redoutable. De façon paradoxale, il dit un aspect de Dieu qui représente un danger pour les croyants. On comprend donc que la tradition ait eu tendance à accentuer l'aspect négatif du satan, jusqu'à en faire le chef d'un commando de démoins s'attaquant à la santé des humains (luc 11,15 à 19), ou la source par excellence du mal (Luc 22,3). Tout un parcours pour celui qui, à l'origine, était présenté comme un serviteur dévoué de Yhwh).

Diabolos

Le verbe grec diabollô signifie "accuser","dénoncer" ; il a bien ce sens l'unique fois où le Nouveau Testament l'emploie (Luc 16,1). Le diabolos, nom correspondant, est l'"accusateur", l'"adversaire". Dans le Nouveau Testament, diabolos est un autre nom du satanas (transcription grecque de l'hébreu satan). La Vulgate l'a rendu par diabolus, ce qui a donné "diable" en français.

Dans les synoptiques, le diabolos se rencontre surtout dans les récits de Matthieu et Luc sur sa confrontation avec Jésus (Matthieu 4,1à11 ; Luc 4,1à13). A l'origine, dans la Source, il devait jouer le rôle du serviteur de Yhwh qu'on retrouve dans le prologue de Job. Mais aux yeux des deux évangélistes, il devait avoir pris des couleurs beaucoup plus négatives, comme on le voit dans le célèbre récit de Matthieu sur le jugement :

Eloignez-vous de moi, maudits! Entrez dans le feu perpétuel réservé au rival (diabolos) et à ceux de sa troupe. (Mt 25,41)

Le diable subit donc le même changement de sens que le satan, transformation qui a tendance à se généraliser dans le Nouveau Testament.

Votre père à vous est le diable et vous voulez accomplir les désirs de votre père. C'était un tueur depuis le commencement, établi hors la vérité, car sans vérité en lui, parlant faux, selon sa nature qui est le mensonge, et du mensonge il est le père. (Jean 8,44)

Ce texte est typique de la tradition johannique, qui identifie le diable au serpent des origines (Genèse 3). Le diable est essentiellement un menteur et un tueur, parceqsu'il a trompé le premier couple et est donc responsable de l'entrée en scène de la mort qui afflige toute l'humanité. L'auteur de la première lettre de Pierre, quant à lui, a eut l'idée de cette image marquante :

Soyez raisonnables, veillez : votre adversaire, le diable, rôde comme un lion rugissant, cherchant qui dévorer. (1P 5,8)

Le sens négatif des mots satan et diable est courant et a fortement marqué l'imaginaire chrétien. Il rend malheureusement difficile la compréhension des textes dans lesquels le personnage exprime un aspect essentiel de l'expérience humaine du Tout-autre. Le propre de la rencontre avec cet Ailleurs déroutant, c'est d'apprendre à l'être humain à faire la vérité sur lui-même, à aller au-delà des apparences et des illusions qu'il peut avoir à son propre sujet. Impossible de se cacher face à l'Autre. Cette rencontre est certes libératrice. Mais elle a aussi un côté menaçant, car les humains passent beaucoup de temps à se cacher des autres et d'eux-mêmes. Le diable ou satan, à l'origine, était la personnification d'un aspect de la crainte de Dieu dont parle la Bible, moins peur d'un être mauvais, que désarroi face à l'inconnu qui sait tout sur tous.

J'ai traduit le diabolos de la Source par l'"examinateur". Ce terme me semble important dans la mesure où il donne sa coloration au texte. Dans "la tentation de Jésus" dans le désert (non pas le désert des mille et une nuits, mais le rude refuge des opposants aux régimes en place. Jésus a accepté de se faire plonger dans l'eau à l'appel de Jean? Voilà où ça le conduit, en dehors du système. C'est de là, à partir de la marge, qu'il sera capable de passer le test qui s'en vient.La Source fidèle à son habitude continue son travil de sape de toutes les certitudes et sécurités. L'examinateur se dit qu'il sera sans défense devant lui, à sa merci, comme tous les autres avant lui. Le test peut commencer) ... nous ne sommes pas devant un récit de tentations orchestrées par le "diable", ennemi juré de Dieu et de ses serviteurs et servantes, mais devant un récit d'épreuves, de tests, administrés par un officiel de la cour céleste. Le contexte est le même que celui du prologue de Job. Là, alors que Dieu se réjouissait de la fidélité de son serviteur Job, le satan lui conseillait de cesser de protéger ce dernier, cela l'empêchait de bien faire son travail et de montrer comment le saint homme n'était pas mieux que les autres (Jb 1,8à12). En Luc 22,31, cité plus haut, le même satan voulait secouer les disciples de pied en cap pour en démontrer la veulerie : Jésus avait certes passé le test, mais, selon l'examinateur, ce ne serait pas le cas de ses proches. Dans la Source, c'est avant même que Jésus commence à répondre à l'appel de Jean que l'examinateur veut lui sonder les reins et le coeur. Son hypothèse de travail, c'est que le Nazaréen est bien comme tous les autres et que Dieu serait bien mal venu de lui faire confiance. Dans la scène de la tentation de Jésus, c'est le Dieu vivant qui veut savoir à qui il a affaire avec Jésus. Peut-il avoir foi en lui?

Evidemment, la scène n'est pas rapportée comme s'il s'agissait d'un évènement historique. Si Jésus a été secoué de par sa rencontre avec Jean, il a certes bien pu vivre une épreuve de fond, qui l'a obligé à descendre jusqu'aux racines de son être. Mais ce n'est pas de cela que parle la Source. Elle n'écrit pas une biographie du Nazaréen. ... la première fois qu'elle fait mention de Jésus, elle ne dit de lui que son nom. C'est sans doute étrange à nos yeux, mais ce n'est pas l'homme Jésus qui l'intéresse, mais son sens pour l'existence humaine. ... Les réponse que la Source donne au test qu'elle se formule à elle même sont celles que l'examinateur, désabusé après avoir été si souvent déçu, rêvait depuis toujours de pouvoir rapporter à son patron divin.